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5 mai 2008

le saussurisme

L'ACTUALITÉ DU SAUSSURISME

Algirdas-Julien GREIMAS

à l'occasion du 40e anniversaire de la publication
du « Cours de linguistique générale ».

(Texte paru dans Le français moderne, 1956, n°24, p. 191-203 [1] )

Il serait inexact de dire que le nom de Ferdinand de Saussure est inconnu dans les milieux des linguistes français. Il n'est pas moins vrai cependant que la théorie saussurienne reste presque ignorée de la « philologie française » fidèlement attachée, du moins dans ses principales contributions, à l'esprit de la grammaire historique du XIXe siècle. Reflétant la conviction à peu près unanime de ses maîtres, un jeune linguiste de 1935 avait encore tendance à considérer avec dédain les travaux des écoles de Genève et de Prague, dont l'ésotérisme, disait-on, cachait mal les spéculations purement théoriques, contraires aux faits linguistiques positifs et au bon sens le plus élémentaire.

Et cependant, quand ce même linguiste est amené à lire, une vingtaine d'années plus tard, la confession d'un sociologue qui reproche à ses maîtres de l'entre-deux guerres d'avoir été « plus occupés sans doute à méditer l'Essai sur les données immédiates de la conscience que le Cours de linguistique générale de F. de Saussure » [2], ou cette affirmation d'un philosophe que « Saussure pourrait bien avoir esquissé une nouvelle philosophie de l'Histoire » [3] ; quand il se voit obligé de réviser son attitude à l'égard du saussurisme grâce, en partie du moins, à cette « redécouverte » de Saussure par des sciences de l'homme autres que la linguistique, il se trouve devant la situation pour le moins paradoxale de l'héritage saussurien en France.

L'intérêt que montrent actuellement pour la linguistique les différentes sciences de l'homme, ne fait que mieux ressortir la désaffection inquiétante de la linguistique française à l'égard de la réflexion méthodologique. Le cloisonnement étanche des programmes universitaires, la, séparation arbitraire des disciplines isolent le linguiste, depuis son premier certificat de licence jusqu'à la fin de sa carrière, dans une solitude étouffante. La méfiance de l'historien à l'égard du saussurisme dont il n'a retenu, en premier lieu, que la condamnation péremptoire, au nom de la synchronie, de l'objet même de ses études, le conduit à s'en tenir à ses propres méthodes, dont il sent peut-être quelquefois la faiblesse, plutôt que de renier d'un seul trait l'enseignement de ses maîtres et les résultats acquis au prix des efforts persévérants de plusieurs générations de chercheurs.

On comprendra donc facilement que les lignes qui suivent, loin d'esquisser une nouvelle apologie, voudraient plutôt montrer l'efficacité de la pensée de F. de Saussure qui, dépassant les cadres de la linguistique, se trouve actuellement reprise et utilisée par l'épistémologie générale des sciences de l'homme. Au lieu de souligner les antagonismes à l'intérieur de la linguistique, la description de ces quelques thèmes saussuriens les plus généraux devrait, au contraire, mettre en évidence la valeur heuristique de la linguistique prise globalement. Vue du dehors, l'opposition des deux linguistiques, statique et historique, apparaît comme un cas particulier d'un malaise général dont souffrent les sciences de l'homme et qu'elles sont appelées à surmonter. On ne voit pas pourquoi la linguistique ne pourrait représenter, une fois de plus, ce lieu privilégié de dépassement.

L'originalité de la contribution de F. de Saussure réside, croyons-nous, dans la transformation d'une vision du monde qui lui fut propre [4] - et qui consiste à saisir le monde comme un vaste réseau de relations, comme une architecture de formes chargées de sens, portant en elles-mêmes leur propre signification – en une théorie de la connaissance et une méthodologie linguistique. Car, loin de se satisfaire d'une phénoménologie descriptive ou, comme l'appelle Louis Hjelmslev, d'une « description pure, plus proche de la poésie que de la science exacte » [5] - et que nous ne connaissons que trop bien à travers les « descriptions phénoménologiques » de plus en plus nombreuses –, Saussure a su éprouver la valeur épistémologique de son postulat en l'appliquant à une science de l'homme particulière, la linguistique. C'est en partant du concept linguistique du signifiant, indissolublement lié au signifié (celui-ci n'étant connu que par celui-là), de la notion de langue, cet être à double face, conçue comme « une forme et non (comme) une substance » [6], que s'effectue le passage de la linguistique aux autres sciences humaines, l'extrapolation méthodologique du saussurisme, et que s'affirme le postulat saussurien d'un monde structuré, saisissable dans ses significations

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